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Bruno Tocanne

 

 

 

Festival A Vaulx Jazz, Jeudi 25 mars 2010

 

Propos recueillis par Mathilde Charpentier, Inès Djerroud & Cécilia Lopez (Classes de 4° & 3°)

 

Bruno Tocanne, avez-vous toujours été batteur ?

 

Oui, mais en fait, je voulais chanter, ce que j’ai commencé par faire. Honnêtement, je voulais être une sorte de Mick Jagger ou rien. Je ne voulais pas spécialement jouer de la batterie. C’est un concours de circonstances, comme souvent chez les musiciens, qui m’a amené vers cet instrument. On m’avait mis en pension parce que je ne travaillais pas bien à l’école et que j’étais assez indiscipliné, et là où j’étais, il y avait une batterie et je ne rentrais chez moi qu’une fois par mois. Mais je n’ai aucun regret. J’avais 13 ans, je voulais jouer dans un groupe à tout prix. J’écoutais Jimi Hendrix, Led Zep, les Stones, Black Sabbath…

 

Aujourd’hui, c’est votre métier. N’éprouvez-vous aucune lassitude ?

 

Je ne sais plus rien faire d’autre et je ne m’ennuie pas une seconde dans ce métier. Chaque jour, chaque concert, chaque projet, chaque ville à travers le monde, est différent. Où n’êtes-vous pas allé ? En Amérique du Sud par exemple. Parfois tu regardes une carte du monde et tu te dis : « il faut que j’aille là » et tu cherches comment y parvenir. Je rêvais d’aller jouer en Ukraine et en Russie, car ma grand-mère est née à Odessa, et je l’ai fait. Ce sont des défis que l’on se donne, en plus des opportunités que l’on t’offre.

 

Comment êtes-vous passé du rôle de batteur lambda à ce que vous êtes aujourd’hui ?

 

Mais je n’en sais rien ! Les choses se font ou pas. Contrairement à ce qu’on pourrait croire avec les émissions show business comme la Star Academy, où tout est calculé pour que cela fonctionne très vite et pas très longtemps, il n’y pas de vérité. Cela ne marche pas de cette façon. Il y a des musiciens de ma génération plus médiatisés que moi, mais il y en a d’autres aussi qui ont tout arrêté, par lassitude. C’est un métier qui demande beaucoup d’énergie. Cela dépend de ta façon de vivre les choses, de tes choix artistiques et de tes choix de vie. C’est un milieu très libre. C’est bien ce qui est génial, mais l’absence de cadre c’est très déstabilisant aussi. Je ne sais pas ce qui va arriver dans les six mois et personne ne me force à me lever le matin !. Il y des gens qui le vivent mal. Moi, ça me plait. Il y a des périodes difficiles qu’il faut assumer. C’est ainsi. J’aime vivre l’instant, je ne suis pas nostalgique.

 

Comment s’aperçoit-on que l’on réussit dans ce métier ?

 

On ne s’en rend pas compte par soi-même et je ne sais pas trop bien où situer la réussite, c’est très subjectif. Ce sont les autres qui t’apportent une certaine reconnaissance. Et puis avec le temps les gens te connaissent sans que tu fasses d’effort particulier. Il m’arrive par exemple de jouer avec des musiciens qui me disent : « le premier concert de jazz auquel j’ai assisté, c’était toi qui jouais » et là, tu prends conscience de ce que tu peux représenter. Mais on ne sait jamais si l’on est en situation de « réussite » ou non finalement, et chacun en a sa propre vision : réussite sociale ? réussite médiatique ? réussite matérielle ? Ou réussite de sa propre vie ? Ce sont les retours, positifs ou non, du public et des médias, sur notre musique qui construisent l’image, et de manière relative. Au début j’ai joué sans bases musicales, j’ai foncé dans le tas, avec peu de moyens techniques. Et puis peu à peu, je me suis aperçu que si je souhaitais en faire mon métier, il fallait vraiment que je travaille l’instrument et la théorie musicale. Ce qui m’a contraint à revenir en arrière après quelques années de pratique et de concerts pour pouvoir rebondir et aller plus loin. C’est difficile car quand tu as abordé un instrument en autodidacte, il faut d’abord tout désapprendre, accepter de revenir à la base, accepter de perdre ce que tu avais engrangé, sans savoir ce que tu va gagner.

 

Votre concert le plus fou ?

 

C’est celui que je vais faire ce soir. C’est la réponse bateau par excellence, mais pourtant c’est vrai. Chaque nouveau projet est un défi plus fou que le précédent. Le concert plus improbable alors…

 

Un concert incongru ?

 

Il y a en plein mais comme je ne regarde jamais en arrière… Surtout quand j’étais très jeune et assez allumé… j’ai quelques souvenirs assez fous de concerts improbables !

 

Votre enfance a-telle été celle d’un jeune plutôt déjanté, ou plutôt droit et responsable ?

 

Droit et responsable ? Non je ne foutais rien à l’école comme tous les gamins qui se sentent à l’étroit dans un cadre trop strict. J’avais une famille assez « conventionnelle », il fallait être dans le moule, et j’avais envie de sortir d’un cadre très formaté avec un avenir tout tracé à l’avance. Mes parents voulaient que je fasse une grande école. Bon, je n’étais pas mauvais mais je n’avais pas envie de faire ça et en plus je crois que je n’avais pas envie d’offrir cela à mes parents… C’était assez réactif. Mais c’est une histoire complexe, comme toutes les histoires de famille. J’ai appris que mon père était trompettiste quand j’étais adulte et qu’il avait arrêté à la naissance de ses enfants, sans doute contraint et forcé. Quand il a compris que je voulais être musicien (comme mon frère), ça a été la guerre ! Il me l’a fait payer, c’est sûr. Je jouais avec mon frère guitariste à la maison. Ça ne lui plaisait pas du tout ! Il coupait le courant… Quant à ma mère, elle me dit encore au bout de 30 ans que ce n’est pas un vrai métier ! Ce n’est pas ce qu’elle avait imaginé pour moi. Le décalage entre moi, qui ai bénéficié des acquis de 1968 sans en avoir été acteur (trop jeune), et eux qui étaient de la génération précédente, plus coincée, pleine de principes moraux, avec une vision de la société figée, était grand. Le choc a donc été violent !

 

Sur scène, c’est toujours de l’improvisation ?

 

Oui, en dehors des parties écrites l’improvisation fait que ce n’est jamais la même chose. C’est comme dans la vie, pour moi il faut que ce soit différent chaque jour, sinon je m’emmerde. L’improvisation, c’est comme une discussion, quel que soit le sujet. Chacun a des idées, veut échanger, discuter. Mais il faut aussi savoir écouter l’autre, sans pour autant changer d’avis, mais en acceptant d’évoluer en fonction de ses arguments. Il y a beaucoup de paramètres à gérer dans la musique improvisée et c’est ce qui me fascine. Si chacun est autonome face à son discours, tout en tenant compte de celui de l’autre, nous pouvons construire collectivement. Quand cela fonctionne, c’est un bonheur intégral. Le retour du public est important aussi. J’ai l’impression de n’exister vraiment pleinement que sur une scène alors qu’en dehors parfois je ne me sens pas utile à grand-chose. Une actrice a dit « le drame dans ce métier, c’est que l’on dépend du désir des autres ». C’est vraiment le fond du problème. Ça peut être génial de se sentir désiré mais cela crée une réelle dépendance. Un artiste a toujours envie de convaincre la terre entière, c’est un peu névrotique. S’il n’y a pas le retour du public, si la salle est vide, ça peut être terrible.

 

Vos premiers concerts étaient-ils stressants ?

 

Je ressens plus de stress aujourd’hui que lors de mes premiers concerts ! Plus jeune, je n’avais ni crainte, ni angoisse. Je fonçais. Avec le temps, je deviens plus anxieux, j’ai plus le trac mais c’est quelque chose de positif, ça va de pair avec mon degré d’investissement dans les projets, si je n’ai pas le trac c’est le signe que je ne suis pas très motivé et ça n’est pas très bon musicalement…

 

Vous comptez jouer jusqu’à la fin de votre vie ?

 

Oui, bien sûr !

 

Vous n’arrêterez jamais ?

 

Non. La musique c’est génial. Avez-vous vu « Buenavista Social Club » ? Le pianiste est arthritique, il a 90 ans et quand il joue, ce n’est plus la même personne. Quand on est en situation de jeu, même malade ou affaibli, on oublie tout. On est capable de tenir une heure et demie et de s’écrouler après. On a des ressources qui m’étonnent vraiment.

 

Vous laisseriez aller vos enfants dans la musique ?

 

Mes enfants ne sont pas instrumentistes mais ils restent très proches de la musique Je ne les ai pas spécialement poussés dans cette direction. Je leur ai dit un jour alors qu’ils prenaient des cours de musique depuis quelques années « si vous ne faites ça que pour me faire plaisir, arrêtez tout de suite ! » Et ils ont arrêté les cours, mais jamais de s’intéresser à la musique. Je ne voulais pas que leur désir de musique soit en rapport avec moi, mais dans le même temps, je rêvais d’être avec eux sur une scène (ce qui m’est arrivé avec l’un d’eux) Il y a beaucoup de musiciens qui poussent leurs enfants vers la musique. Moi, je ne me sentais pas de le faire, je voulais que ce soit leur choix personnel.

 

Le chemin qui est le votre, s’il fallait le refaire, le referiez-vous ?

 

C’est une bonne question. Je pense que je ne changerais rien. Je vais vous faire marrer ; mon problème est simple : j’ai fait quasiment tout ce que je voulais faire quand j’étais adolescent. Je voulais être musicien, je le suis. Je voulais des gamins, j’en ai eu. Je voulais avoir une maison et vivre « comme tout le monde » sans faire aucune concession, je l’ai fait. Il y a quelques années, je me suis demandé ce que j’allais pouvoir inventer pour être encore motivé ! J’ai un peu honte de dire cela mais je n’ai rien à regretter ; j’ai obtenu ce que j’ai voulu. J’ai fait le choix, par exemple, d’avoir des enfants assez jeune et d’en profiter le plus possible plutôt que de me préoccuper de « faire carrière ». Je suis donc moins médiatisé et sans doute moins riche que d’autres musiciens de ma génération. Mais c’est un choix personnel que je ne regrette pas, Il faut faire les choses dont on rêve, quitte à se planter, pour ne rien avoir à regretter ensuite. Vieillir en se disant « j’aurais du faire ça », non jamais ! Se tromper, cela fait partie du jeu, ça peut être douloureux sur le coup mais c’est le plus souvent positif ensuite.

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