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Daniel Humair

 

 

 

Opéra de Lyon, le 14 avril 2005

 

Propos recueillis par Marine Francou et Camille Thomé

 

Pouvez-vous nous donner quelques repères biographiques ?

 

J’ai commencé la musique à quatorze ans dans des groupes de jazz « new orleans », puis je suis parti, à 18 ans, comme musicien professionnel, dans des orchestres de variétés. A 19 ans, j’ai décidé de ne faire que du jazz. Je suis allé en Belgique puis à paris où j’ai joué avec quasiment tous les musiciens américains de la fin du siècle. Cela fait maintenant 45 ans que je joue.

 

Pourquoi avoir choisi la batterie ?

 

La batterie parce que j’avais fait du tambour quand j’étais minot et, en fait, parce que j’avais envie de taper !

 

Qui vous a donné cette envie ?

 

Le hasard. Un jour, j’étais avec un copain qui jouait de la clarinette, et il y avait là une batterie libre. Je me suis assis derrière et j’ai attrapé le virus. C’est aussi bête que ça.

 

Pourquoi le jazz en particulier ?

 

Au début, chez mes parents, on écoutait Edith Piaf, les Compagnons de la chanson, Charles Aznavour. Et puis un jour, j’ai entendu un disque de Tommy Lanier et Mez Mezrow.

 

Comment arrive-t-on à improviser ?

 

Ca fait 45 ans que je fais cela et j’ai appris à le faire. Improviser, c’est écouter. C’est un métier. Il y a des gens qui font toujours la même chose parce qu’ils n’arrivent pas à dépasser la fonction. Moi, j’essaye de m’amuser et pour cela, il ne faut pas faire toujours la même chose. Plus on se répète, plus on tombe dans la banalité et moins c’est ludique. Pour faire de la musique, j’ai besoin de me surprendre. Je choisis donc toujours des gens avec lesquels rien n’est totalement programmé. Et puis le jazz est une conversation, une conversation entre gens qui parlent de la même chose. C’est notre langage.

 

Vous êtes également peintre. Qu’est-ce que cela vient faire dans le jazz ?

 

On se le demande ! Cela n’a rien à faire avec le jazz. Dans la vie, je ne veux pas me consacrer à une seule chose. J’ai, là encore, attraper le virus de la peinture très tôt. Mais ma carrière de peintre est totalement séparée de ma carrière de musicien. L’une n’approche pas l’autre.

 

Vous ne préférez pas une de ces deux carrières ?

 

J’ai une préférence pratique, la peinture, car je peux la pratiquer seul chez moi. La musique, elle, se fait à heure fixe, avec d’autres personnes et hors de la maison. C’est moins confortable.

 

Le jazz pour échanger avec les autres et la peinture pour soi ?

 

Oui. Cependant, dans le jazz, cela dépend des musiciens avec lesquels on joue. Cela ne fonctionne pas toujours. J’essaie donc de jouer, de plus en plus, avec des gens avec lesquels je sais que cela fonctionnera humainement. Le côté humain est plus important que le côté artistique. Si on ne s’entend pas entre personnes, la musique ne peut être de qualité. Quant à la peinture, c’est agréable de la pratiquer chez soi, sans contrainte : pas de train ou d’avion à prendre, de valise à traîner, pas d’hôtel…

 

Votre vie, elle vous plaît ?

 

Oui ! Elle me plaît parce que je la mène comme je l’entends. Mais si je ne faisais que de la musique, elle me plairait moins.

 

Vous êtes arrivé au summum…

 

On n’est jamais au summum. Cela ne veut rien dire.

 

Vous aimez encore vous surpasser ?

 

Tant que j’ai l’impression que cela m’amuse et que j’apprends quelque chose, je n’ai aucune raison d’arrêter. Physiquement, je ne me sens pas fatigué quand je joue. J’ai plus d’énergie aujourd’hui qu’il y a dix ans et je joue avec des gens formidables. Je continue donc, bien que j’ai atteint l’âge où l’on arrête !

 

C’est un état d’esprit alors ?

 

Oui, c’est un état d’esprit, mais si l’on n’a pas un comportement éveillé, on a vite fait de vous pousser vers la sortie.

 

Ressentez-vous toujours la même émotion lorsque vous jouez ?

 

Si c’était toujours la même émotion, ce ne serait plus une émotion ! Les émotions naissent de la surprise, de différentes sensations qui surviennent dans l’improvisation. La musique ouverte, c’est le bénéfice et le fruit d’une conversation musicale. On ne sait jamais où ça va, on ne sait pas comment cela se terminera, on sait comment cela peut commencer et encore, ce n’est pas sûr… C’est là tout l’intérêt.

 

Y a-t-il une vie en dehors de la musique et de la peinture ?

 

Bien sûr ! Je dirais même : à part ma vie, est-ce que j’ai de la musique, car elle prend moins de temps dans ma vie que ce que je fais à côté. C’est deux heures de temps à autre, je n’en parle pas avant, je la joue avec le plus de concentration possible et, dès que c’est fini, je ne veux plus en entendre parler car on ne peut rien relire, rien corriger ou effacer de ce qui a été joué. Je ne veux pas que cela soit le moteur de mes humeurs. C’est un travail formidable, intéressant et passionnant, mais je ne veux pas gamberger dessus. J’essaie d’être le plus équilibré possible par rapport à mon métier. Quand je commence à peindre, je vais dans mon atelier, et suivant mon feeling, mon énergie ou mon inspiration, je travaille. Si cela ne fonctionne pas, j’arrête. Je n’ai pas d’états d’âme dans mes travaux, ni en musique, ni en peinture.

 

Avez-vous d’autres passions encore ?

 

Le design, l’architecture, la cuisine, le cinéma, le sport. Je m’intéresse à beaucoup de choses sauf à la littérature et relativement peu à l’histoire de l’art. Je ne suis pas du genre à prendre des références dans le passé. Je vis dans mon temps avec les générations qui font ce qui me correspond au niveau esthétique.

 

Vous ne lisez pas ?

 

En fait, je n’arrive pas à fixer. Je mets des images sur tout ce que je lis, et comme l’image s’éloigne du texte, je me trompe. Je me fais des histoires par rapport à ce que je lis, alors au bout d’un moment, je dévie du texte et je ne suis plus dans le livre… Et je recommence ma lecture… et je finis par ne plus insister !

 

Y a-t-il des gens qui vous fascinent ?

 

Quelques uns. Des architectes, des peintres, des sculpteurs, des comédiens. Philippe Stark par exemple m’intéresse beaucoup. Mais je n’ai pas de passion exagérée pour les gens. Je préfère les voir à une certaine distance plutôt que d’être déçu en les approchant. J’admire aussi beaucoup les cuisiniers, Pierre Gagnaire entre autres.

 

Certains vous ont-ils inspiré ?

 

Par principe, tout m’inspire. Des oiseaux dans un arbre, un paysage, une construction, un petit événement du quotidien. De toute façon, tout déteint sur l’art. Alors plus vous voyez de choses en dehors de votre petite parcelle d’art, mieux c’est.

 

Vous vous êtes toujours imaginé là, jazzman ?

 

Je ne pense pas à cela. C’est mon métier. Je paie mon gaz et mon électricité avec. Mais cela me passionne de le faire. Je ne me considère pas comme un artiste professionnel. C’est un métier, pas un sacerdoce. Je crois que je pourrais vivre sans.

 

Vous ne réalisez pas un rêve ?

 

Non. J’ai eu un rêve quand j’étais gosse, musicien de jazz. Maintenant je sais ce que c’est, j’ai vu les bons et les mauvais côtés du métier.

 

Vous ne vous ennuyez pas ?

 

Non, pas du tout. Autrement, je ne le ferai pas. J’essaie de ne pas m’ennuyer. Ce soir par exemple, je joue avec deux personnes qui sont bouillonnantes. Ils ne jouent pas sur terrains déjà labourés. C’est donc excitant.

 

Avez-vous un souvenir qui demeure en particulier ?

 

J’en ai tellement ! Mais vous savez, quand vous sortez dans la rue, il suffit de marcher deux cents mètres pour que des choses étonnantes arrivent. Il faut savoir les saisir.

 

Jamais blasé donc ?

 

Je ne pense pas que cela puisse arriver. Il survient toujours quelque chose de surprenant, même si c’est infime.

 

 

 

 

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