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Sangoma Everett

 

 

 

Lyon, le 7 mars 2000

 

Propos recueillis par Sophie Bollenot et Natacha Jargic

 

Pouvez-vous nous donner quelques repères biographiques ?

 

Je suis né à Norfolk, Virginie, aux États-Unis. J’ai commencé la musique à l’âge de onze ans. J’ai pris des cours le samedi pendant de nombreuses années. A cette époque, je jouais aussi avec la fanfare de mon école. Trois ans après mes débuts, le professeur de musique avait besoin d’un contrebassiste pour l’orchestre classique de l’école et c’est à moi qu’il a demandé d’en jouer. J’ai donc appris cet instrument et l’ai pratiqué jusqu’à mon baccalauréat. Durant la dernière partie de ma scolarité, j’ai aussi fait partie d’un orchestre de jazz, une sorte de big band.

 

Comment êtes-vous venu au jazz ?

 

Par mon père. Avec ses amis, chaque week-end, il écoutait beaucoup de jazz. J’ai des souvenirs de Jimmy Smith, Wes Montgomery, Miles Davis… Ils adoraient ça.

 

Vos parents vous ont-ils encouragé votre carrière de musicien ?

 

Oui absolument. Ce fut une chance. J’ai perdu mon père très jeune, à dix ans, avant de commencer la musique, mais ma mère a toujours été avec moi. Ce fut ma première groupie ! Néanmoins, je connais d’autres musiciens qui n’ont pas eu cette chance et auxquels cela a permis d’avoir une plus grande motivation car ils devaient constamment démontrer qu’ils avaient fait le bon choix.

 

Pourquoi avez-vous choisi la batterie ?

 

J’ai toujours eu envie d’en jouer. Cela a été mon premier instrument. J’ai également appris le piano mais je l’utilise uniquement pour la composition. J’aurais aimé faire de la clarinette basse mais … je n’ai pas travaillé !

 

Aujourd’hui, avez-vous envie d’apprendre d’autres instruments ?

 

Je vais prendre des cours pour apprendre les tablas. Une amie m’en a rapporté d’Inde et j’ai très envie de m’en servir pour ma musique.

 

Depuis quand et pourquoi composez-vous ?

 

Je compose depuis l’âge de seize ans et principalement pour deux raisons. La première c’est que j’ai des idées pour la batterie, des rythmes que j’ai envie de jouer. Alors j’aime composer autour de la batterie. En général, on ne le fait pas mais ça me permet de m’exprimer avec mon instrument. La deuxième raison, c’est l’inspiration. Quand je suis inspiré, je rêve un morceau, j’ai des mélodies qui viennent pendant la nuit… Alors je vais vite au piano pour ne pas les perdre. Par le passé, je ne composais que pour le jazz mais depuis 1994, j’ai abordé d’autres styles. Je travaille actuellement sur un projet de comédie musicale africaine qui fera l’objet d’un enregistrement.

 

Qu’est-ce que l’improvisation ?

 

Selon moi, l’improvisation est la capacité à exprimer les idées. J’ai la chance de pratiquer un genre musical, le jazz, où on a le droit d’être libre dans la musique. On respecte toujours la forme et les harmonies mais, à partir d’un certain moment, on a la possibilité de s’exprimer pleinement par le biais de l’improvisation.

 

Hormis la comédie musicale, quels sont vos autres projets musicaux ?

 

J’ai envie de collaborer à nouveau avec Kirk Lightsey, qui fut le pianiste de Dexter Gordon durant sept années et qui vit actuellement à Paris. On joue souvent ensemble. J’ai encore d’autres projets pour le jazz mais rien de bien défini.

 

Que vous apportent les rencontres avec les autres jazzmen ?

 

J’adore changer de groupe. Chaque musicien est différent et il est important de découvrir comment il travaille afin de s’améliorer soi-même. En jazz, c’est toujours le leader qui choisit les morceaux à interpréter, les tempos. C’est donc toujours une sorte de challenge de jouer de nouveaux morceaux ou des compositions originales et c’est aussi un défi de se prouver que l’on a la capacité de jouer dans la direction où le leader veut nous emmener.

 

Quand vous jouez avec eux, avez-vous le sentiment de leur apporter quelque chose ?

 

J’espère. Je pense que quand on me téléphone, c’est parce qu’on a envie de jouer avec moi. A partir de là, l’échange se fait.

 

Quelles sont vos influences ?

 

Depuis toujours, chaque rencontre est une influence. La première personne qui m’a influencé s’appelait Consuela Lee, la tante de Spike Lee. Elle était compositeur et pianiste et c’était mon professeur. Ensuite il y a eu Clifford Jordan et Bill Lee, le père de Spike, qui est bassiste. J’ai travaillé avec eux pendant trois ans à New York. Ensuite, à Paris, j’ai beaucoup travaillé avec Barney Wilen, Riccardo Del Fra et Alain Jean Marie. Parmi les batteurs, mes influences majeures sont Billy Higgins et Billy Hart.

 

Vivre en France, est-ce un atout pour un jazzman ?

 

C’est un atout dans la mesure où les français aiment beaucoup le jazz. Ensuite, c’est également un avantage car je me sens bien en France. J’y vis en paix, avec la liberté de faire ce que je souhaite faire. Je ne m’y sens pas limité.

 

Y a-t-il d’autre pays qui seraient bons pour votre musique ?

 

Oui. Je vivrais volontiers en Inde et en Afrique. Je connais très bien ce dernier continent, j’y ai visité vingt-cinq pays, et cela me plairait d’y séjourner longuement.

 

Avez-vous déjà utilisé des percussions africaines dans le cadre du jazz ?

 

Je fais cela depuis toujours. J’ai travaillé avec Doudou Gouirand, un musicien du sud de la France grand ami de Don Cherry. Avec lui, que je connais depuis 1981, on a souvent jouer avec des percussionnistes africains et indiens.

 

Avez-vous d’autres centres d’intérêts et influent-ils sur votre musique ?

 

J’aime énormément la peinture. Grâce à la musique, je voyage beaucoup. Alors où que je sois, je visite les musées et les galeries. J’ai déjà vu beaucoup de choses et je pense qu’inconsciemment cela s’intègre dans ma musique, que cela m’inspire. Clairement, il n’y a que Les Nymphéas de Monet qui me font un effet extraordinaire. A chaque fois que je les vois, c’est comme une drogue, je suis dans un état second.

 

Écoutez-vous d’autres musiques ?

 

Oui. J’écoute beaucoup de musique contemporaine, de musique africaine et indienne également.

 

Pouvez-vous nous donner une définition du jazz ?

 

Le jazz, c’est une façon de vivre. L’improvisation différencie le jazz des autres musiques et c’est par elle que l’on peut exprimer sa créativité en toute liberté.

 

Qu’est-ce qui vous donne envie de travailler avec tel ou tel musicien ?

 

Il existe un pianiste avec qui je n’ai jamais joué, Amhad Jamal, qui est extraordinaire. Il est extrêmement créatif dans sa façon d’aborder le piano. Il joue quelquefois comme un percussionniste et si j’avais la possibilité de jouer avec lui, je le ferai sans hésiter. Je n’hésiterai pas non plus si l’occasion se présentait à jouer avec Bobby Hutcherson ou Jerry Gonsalez, un trompettiste portoricain qui a remarquablement enregistré la musique de Monk dans le style « latin ». Mais j’ai déjà eu la chance de jouer avec de musiciens de rêve. J’ai travaillé avec Miles Davis sur un film qui s’appelle Dingo. Il avait le rôle principal et j’étais le batteur. Les séances ont duré quatre jours. Il était d’une extrême gentillesse. On a eu un bel échange, très riche, pendant tout le tournage. A chaque pause, on discutait ensemble dans un coin.

 

Avez-vous jouer avec Chet Baker ?

 

Non. Il avait le projet de jouer avec moi dans un festival, il avait donné mon nom, mais il est mort avant que cela se fasse.

 

Jouez-vous avec des musiciens lyonnais ?

 

Il y en a quelques uns qui passent régulièrement, Dimitri Naiditch, Mario Stanchev. J’ai beaucoup joué avec lui la première année où j’étais à Lyon. Et d’autres encore…

 

Vous tournez beaucoup ?

 

Oui. Très régulièrement avec Kirk Lightsey, de temps en temps avec Alain Jean Marie, souvent avec Riccardo Del Fra. Je joue de même avec un pianiste suisse, Moncef Genou.

 

Quelle est votre approche du jazz ?

 

Je travaille sur ce qui existe. Dans le jazz, il y a une très grande tradition. Au départ, le but du jazz, c’est le swing. C’est l’essentiel, ce qui donne le bon feeling à la musique et aux musiciens. A partir de cette base, on part dans la direction qui nous intéresse. Mais l’essentiel demeure le swing.

 

Vous n’essayez pas d’être immédiatement créatif ?

 

En sortant de ce cadre traditionnel, on va vers le free jazz. On ne se donne aucune base, aucun repère. On joue, on écoute les autres musiciens et on joue. C’est une sorte de conversation. Je pense que c’est valable même pour une grande formation. J’aime bien faire du free jazz mais j’aime un peu moins en écouter parce que l’important c’est d’être présent et de jouer avec une totale liberté.

 

Existe-t-il un style de musique que vous détestez ?

 

La country ! C’est pas terrible, pas terrible…

 

Que faut-il faire pour que les jeunes écoutent du jazz ?

 

Il faudrait peut être faire des films de jazz car les jeunes sont sensibles au cinéma. Il serait aussi indispensable d’inviter les jazzmen à venir jouer dans les écoles.

 

 

 

 

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