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Médéric Collignon

 

 

 

 

A Vaulx Jazz, le 13 mars 2008

 

Propos recueillis par Léa Vacher, Aurélien Faure, Louis Giraud et Benoît Pittion

 

A quel âge avez-vous débuté le jazz ?

 

J’ai commencé le jazz assez tard. En fait, je l’ai appréhendé vers quinze ans mais je n’en jouais pas. Je m’occupais du son de mes camarades. J’ai réellement débuté à dix-neuf ans.

 

Qu’est-ce qui vous a décidé à faire du jazz ?

 

C’est le côté libre de cette musique, j’allais dire libertaire, qui m’a attiré. Le jazz n’est pas un style de musique, c’est un style de vie. J’ai fait quinze ans de musique classique. Le fait d’interpréter cette musique ne me suffisait pas. J’avais besoin de jouer ma musique, d’être la musique. Ce n’est pas prétentieux de dire cela. C’est juste vouloir se laisser traverser par une énergie, une onde. C’est extra-occidental ce que je raconte. On trouve ça en Afrique, en Chine, en Amérique du Sud, dans des pays où l’on travaille la musique bien autrement que chez nous. Il y a une signification autre chez eux. Ce n’est pas faire du son pour le son. Il y a une dimension intellectuelle, conceptuelle de la chose. Alors pourquoi fais-je du jazz ? Tout simplement parce que je suis jazz. J’ai cet esprit. J’ai envie d’improviser au quotidien, de faire des blagues, d’écouter. C’est une appréhension de l’espace et du son que n’ont pas obligatoirement les gens du classique. C’est la petite différence qui existe entre ces deux milieux. Cela ne veut pas dire que c’est mieux, cela signifie juste que je vis le son autrement. Je pense être plus primal, plus animal qu’un musicien classique. Peut-être le serai-je dans une autre vie, parce que j’aime cette musique. Mais je voulais être chef d’orchestre et j’ai l’impression de l’être en faisant du jazz.

 

Qu’aimez-vous le plus dans le jazz ?

 

La réponse est difficile… La musique, la rencontre avec les gens… Tout, franchement tout. Qu’est-ce que tu aimes dans le gâteau ? Le chocolat, le décor au-dessus, la petite cerise, la fraise. Quand tu manges un gâteau complexe, avec plein de goûts différents, tu ne préfères rien, tu manges tout. C’est ce que je ressens, je prends tout et je mange l’assiette aussi ! En tout cas, en ce moment, je suis heureux de vivre mon métier de musicien. Même si le contexte est difficile, j’y arrive. Je suis parvenu à un palier qui me permet de rencontrer des personnes avec lesquelles je suis en synergie sur le plan des idées, du comportement musical. C’est ce j’aime dans le jazz : on demeure encore libre et maître de sa pensée, ce qui est difficile à concevoir aujourd’hui car il existe des gens qui veulent nous transformer en mouton.

 

Combien faites-vous de dates par an ?

 

Entre 100 et 150 concerts environ. Un concert tous les trois jours approximativement.

 

Avez-vous un agent ?

 

J’ai un manager. C’est assez peu courant en France. C’est quelqu’un qui prend les coups et qui en donne aussi ! Il prévoit avec une tactique presque militaire ce que moi, musicien, je peux réaliser sur une année en tenant compte des clubs, des salles et de ce que j’ai fait avant.

 

Que représente A Vaulx Jazz pour vous ?

 

C’est la deuxième ou troisième fois que je viens ici. La dernière, c’était avec Jus de Bosce, mon quartet, mon bébé comme je l’appelle. On jouait la musique de Miles Davis, période électrique, 1968 à 1975. J’en garde un énorme souvenir. En sortant de la gare, j’avais avec moi un mégaphone et, dans le taxi, je gueulais "venez voir le concert ce soir ! " J’étais homme sandwich ! A Vaulx, les esprits autour de moi ne me castraient pas. Ils ne me disaient pas "tais-toi" mais au contraire "vis, tu es là pour ça;" Je suis un artiste donc j’ai le droit. Je me suis donné le droit dans la vie de dépasser certaines limites. A Vaulx je m’amuse. J’ai des souvenirs positifs.Je n’ai pas l’impression d’être mis dans une boîte. Les gens vivent avec moi, parce qu’ils m’invitent.

 

Jouez-vous de plusieurs instruments ?

 

Je répondrai par oui. La voix, le cornet de poche, le bugle, le sax horn, une sorte de petit tuba en mi bémol, des instruments électroniques, des jouets, des claviers pour écrire la musique… J’ai fait du théâtre, je ne danse pas très bien mais il m’arrive de me " marier " avec des danseurs et danseuses, des improvisateurs et, comme je m’ennuie vite, je fais beaucoup de choses. Par contre, pour tout ce qui est cordes, je suis nul, très nul !

 

Appartenez-vous à plusieurs formations de jazz ?

 

Plusieurs formations, oui, mais pas de jazz. Précisément, je joue avec des formations de jazz cool, trash, rock, punk. Il m’arrive de jouer avec des gens de théâtre. Là, c’est plutôt contemporain, situationniste. Je participe aussi à des groupes qui mélangent le slam, le rap et la musique contemporaine. On cherche, quoi. On est entre l’Ircam et la valse musette. Je fais des jazz.

 

Combien de temps consacrez-vous à la musique chaque jour ?

 

Je travaille assez peu l’instrument. Je préfère travailler des solos, des situations d’envie. J’écoute beaucoup de musique, mais je ne suis pas un gros travailleur… parce que la paresse offre le stress, l’adrénaline, la peur. Et la peur, c’est un moteur. Quand je me mets en situation sur scène, c’est extrème sur le plan mental. Je dois donc, par instinct de survie, trouver des clefs pour traverser les portes…

 

Votre plus beau souvenir de concert ?

 

Avec Andy Emler et Ars Nova, un ensemble contemporain, à Poitiers, pour une occasion symbolique, un message de paix. A la fin du concert, il y avait quatre orchestres d’harmonie, quatre fois quatre-vingts musiciens, autour de nous et une sorte de ventilation qui partait dans le ciel. J’ai fait un solo avec ça. J’avais un micro avec les effets électroniques que j’ai mis dedans. Ça bidouillait des trucs bizarres. Entre parenthèses, c’est le seul moment qu’ils ont conservé pour faire un DVD. Le résumé de quatre fois quatre-vingts musiciens plus le Mégaoctet, etc, pour eux, ce sont les conneries que j’ai faites à cet instant. Je trouve ça extraordinaire… Enfin, à la fin du concert, le transformateur du quartier est tombé en panne. Il y avait beaucoup de monde sur la place. Par réflexe de survie, je me suis mis à chanter un thème d’Andy Emler, les musiciens du mégaoctet m’ont suivi en acoustique et le public s’est joint à nous. Puis la lumière et le son ont réapparu, ce qui a amplifié le frisson.

 

Qui est votre idole ?

 

Moi ! Non, j’en ai pas. J’en ai plein. Donc je n’en ai pas. Je travaille l’ingestion, la digestion. Je n’ai pas d’idoles. Ou alors, je vais dire la nature. C’est plus vague, plus vaste. Ce qui me plaît, c’est ce qui est rare.

 

Avec quel artiste voudriez-vous jouer ?

 

Il est mort. Et en plus il jouait de la trompette. Avec Miles, j’aurais bien aimé. Avec Wayne Shorter, Zawinul dont j’ai fait la première partie. J’ai fait une sale blague à un moment donné à Shorter. Je lui ai dit en plaisantant que j’avais du mal à jouer avec les nègres… Il a rigolé et il m’a dit "faites attention, vous êtes fou". Il avait raison.

 

Etes-vous stressé avant d’entrer en scène ?

 

Pas vraiment. J’ai quelques appréhensions mais rien de grave. J’aime jouer. Par contre, ce qui tresse, c’est le retard quand il y a des problèmes techniques ou autre chose. Ce qui me stresse, c’est le silence, ce faux silence.

 

Vous arrive-t-il de faire des erreurs pendant un concert ?

 

Tout le temps car l’idée fondamentale, c’est de provoquer en soi des émotions différentes chaque jour. L’idée, c’est aussi de jouer l’instant. La mémoire est là bien sûr, mais j’essaye de la contrer pour ne pas me répéter. Si je me répète, j’ai l’impression de mourir à petit feu, de ne plus me chercher. Trouver c’est bien, mais je préfère chercher. Les erreurs servent à rebondir. Un jour tu te trompes de chemin et tu découvres des choses que tu n’avais pas imaginées. Il faut toujours être attentionné à ce qui se passe autour de soi. Il ne faut pas se ranger dans des petites cases. Il ne faut pas être trop sage dans la vie, surtout à votre âge. Et si vous entendez le contraire, ce n’est pas grave. C’est juste une histoire de pouvoir, de contre pouvoir. Il n’y a rien de méchant. Ce n’est que de l’amour. Il faut attraper les bons moments pour se dépasser, transcender la vie, aller loin. On n’a qu’une vie, enfin je crois.

 

Qu’est-ce qui peut vous gêner pendant un concert ?

 

Le manque de public, qu’on ait organisé tout ça pour peu de gens. Et puis moi… si je ne me sens pas bien, la musique n’est pas bonne. Même si dans ma vie il se passe des choses malheureuses, quand j’arrive sur scène, je dois transcender. Si je n’y arrive pas, je suis déçu. Cela signifie que je n’ai pas réussi à me contrôler.

 

Le plus fatigant dans la vie d’artiste ?

 

C’est, d’avoir un groupe, un projet personnel, de répéter mille fois les choses et que, à chaque fois, pendant le concert ou la répétition, l’erreur arrive toujours. Le musicien avec qui tu travailles fait encore cette erreur ! Et il te dit qu’il a raison en plus ! Ce qui me fatigue, ce qui me gène, c’est la mauvaise foi, que les gens n’acceptent pas d’être fort ici ou faible là. Je dis toujours ce que je sais faire comme ce que je ne sais pas faire. C’est ainsi qu’on avance. On ne porte pas un projet par fierté personnelle. On progresse de manière collective, communautaire, avec le souci du partage. Ce qui m’emmerde vraiment, c’est la mauvaise foi, la mauvaise volonté. C’est le mensonge, le déguisement. Un artiste doit se mettre à nu. Sur scène, c’est extraordinaire ! Des êtres humains jouent devant des êtres humains. Il n’y a que nous qui faisons cela. C’est quand même bizarre. C’est très voyeuriste. Donc pour être au fait de cela, puisque apparemment on prend du plaisir et le public aussi, il faut creuser cette idée de transparence entre les uns et les autres. Si on n’y arrive pas, alors oui, ça me fatigue et si c’est nécessaire, il faut changer de musicien.

 

Avez-vous des rituels avant le concert ?

 

Non. Le religieux et la superstition ne me touchent pas trop. Je fais plutôt des trucs de gamin, des blagues, des éclats de rires qui déstressent. On part carrément à 360 degrés pour mieux revenir pendant le concert, pour ne pas appréhender le passage d’un espace à un autre. Parce que c’est la passage qui est difficile. Et quand tu es dedans, c’est trop tard. On est déjà sur scène avec les spots sur la tronche et on y va. On est là pour ça. La mémoire se met en branle et on joue. On y est. C’est parti. On vole. C’est peut-être un rite, finalement, de se désoublier.

 

Avez-vous d’autres passions ?

 

Oui, heureusement. La peinture, la cuisine, la sculpture. Tous les arts. La nature. Les voyages ; pas ceux où tu es tiré par un train ou une voiture, ceux où tu te promènes, à pieds, à vélo, où tu fais un effort. Avec mon ex-chérie, j’ai fait l’année passée un trekking d’une cinquantaine de kilomètres sur les gorges du Yang tsé kiang en Chine, près du Tibet. Ca c’est passionnant. Les cyclistes qui traversent toute l’Europe pour aller par exemple à Pékin, c’est gigantesque. Les grands voyages me passionnent. Découvrir, photographier, écrire, écrire de la musique car la terre est une partition gigantesque. La musique, ce n’est pas que faire des notes. Ce serait triste. Produire des sons, on s’en fout. Mais il faut du temps. J’en ai un peu plus maintenant. Avant, j’avais ce problème d’être trop passionné, trop amoureux de mon métier. Et j’oubliais les contours, le pourtour de tout ce qui satellise la musique. Il m’arrive même d’avoir du temps là où je joue. A Beyrouth où j’ai joué avec Louis Sclavis, nous avons visité Baalbek, un temple fabuleux avec un grand mélange de cultures. Le lendemain, nous avions une autre énergie sur scène.

 

Si vous n’étiez pas jazzman, que seriez-vous ?

 

Quand j’étais plus jeune, je disais tueur à gages pour nettoyer la terre des cons. Mais ça m’a passé. En fait, je n’en sais rien. Je suis jazzman. Peut-être aurais-je été autrement jazzman. Mon cerveau n’est fait que d’une matière. Le souffle. Crier, hurler, dire, parler, lire, ingurgiter, taper… Tiens, boxeur ! Pourquoi pas. J’aurais tapé, envoyé des choses. J’aurais pu faire un truc qui permette le "dedans-dehors" rapidement. Ce que j’ai l’impression de faire en musique : je vise un point, je traverse les gens, et le sentiment rentre mieux dans le corps, la corde résonne beaucoup plus facilement à l’intérieur des gens, me semble-t-il. Enfin, j’essaie. Mais je ne sais pas vraiment. Profondément, je ne sais pas

 

 

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