THE LS JAZZ PROJECT
Samuel Blaser
LS Jazz project, le 22 avril 2011
Propos recueillis par Laure Blanchet, Agathe Simi et Claire Neyrand
Qui êtes-vous ?
Je suis Samuel Blaser, tromboniste d’origine suisse, et j’habite Berlin. Il y a beaucoup de moyens d’expression artistique. Pour quoi avez-vous choisi la musique ? Parce que la musique a toujours été présente dans ma famille. J’ai voulu faire du trombone quand j’avais deux ans, mais je l’ai commencé à neuf. Il s’est donc écoulé du temps entre le souhait et sa réalisation. A la maison on écoutait de l’opéra, du jazz, du rock, enfin toute sorte de musique. Puis j’ai fait le conservatoire. Mais c’est vrai que j’aurais aimé faire une école d’art en même temps, ce que l’on m’avait déconseillé alors.
Et pourquoi le jazz ?
Ma mère nous passait beaucoup de jazz. Louis Armstrong, Ray Charles, Harry Belafonte, un chanteur de Harlem d’origine jamaïcaine, très actif dans l’humanitaire. Il a moins quatre-vingt-cinq ans maintenant ! On écoutait Bob Marley…
Alors pourquoi le jazz ?
Parce cette musique m’a toujours fait rêver. J’alliais cela à des images new yorkaises de rues noires avec de la fumée qui sort des bouches d’égout. .. Et puis au conservatoire, vers treize, quatorze ans, j’ai eu la chance d’avoir un professeur qui était jazzman.
La culture du jazzman noir, dans une ambiance feutrée avec l’indispensable saxophone, mythe ou réalité ?
Ca, c’est le mythe. Je le voyais comme ça quand j’étais enfant. Cela a bien changé. Aujourd’hui le jazz est universel. Il y a des jazzmen coréens… Il n’y a plus de frontières.
Le concert qui vous le plus marqué.
Avec le Vienna Art Orchestra. Je rêvais de jouer avec eux depuis toujours. Cela s’est réalisé. Sinon, je viens de faire un enregistrement avec le batteur Paul Motian. Il est âgé de 80 ans et a joué avec tous les jazzmen feutrés, Billie Holiday, etc. Encore un rêve qui s’est accompli. Mais il faut découvrir le Vienna Art Orchestra, même s’il n’existe plus.
Pensez-vous qu’on puisse remplir une vie avec passion comme la musique ?
Oui. Toute une vie. Il y a des gens qui dédient leur vie à la musique, de A à Z. Mais c’est bien de faire d’autres choses à côté pour s’enrichir.
A part la musique, c’est quoi la vie pour vous ?
C’est une bonne question… Je crois que ma vie est vouée à la musique. Je me lève le matin et je pense à la musique. Je pense à ce qu’il me faut faire. Je prends mon trombone. Je mets un disque. J’appelle des gens pour trouver des concerts. Toute ma vie est basée sur la musique. Mais je prends quelquefois des vacances ! Et je sors le soir aussi, même si tout tourne autour de l’art. J’essaie de profiter au maximum, mais oui, je crois que la musique peut remplir une vie. N’avez-vous jamais été découragé au point d’arrêter ?
Ne vous êtes-vous jamais : « ça m’emmerde, c’est trop compliqué » ?
Il y a des périodes comme ça. C’est passager. Le lendemain, quelque chose se passe qui donne envie de continuer à se battre. De toutes les façons, il faut toujours se battre pour obtenir ce que l’on veut. L’année passée par exemple, j’ai eu des douleurs à la mâchoire et j’ai cru que je ne pourrais plus jouer. Bon, c’était plus de l’inquiétude, de l’anxiété, que du découragement.
Vous vivez de votre musique ?
Oui, complètement. Je n’enseigne pas.
Que retenez-vous de vos séjours à l’étranger ? Cela apporte-t-il quelque chose à votre musique ?
New York, que j’ai habitée pendant trois ans, a complètement changé ma façon de jouer, d’improviser, de composer. Je n’imaginais pas à quel point cette ville allait me métamorphoser. Si l’on écoute mon premier disque, réalisé avant mon installation là-bas, on s’en aperçoit immédiatement.
Quels sont les musiciens qui vous ont influencé ?
Il n’y a pas un artiste en particulier. Ce sont plutôt les rencontres qui m’influencent. Certes on a tous des musiciens auxquels on se réfère : Glen Ferris, Albert Mangelsgorff, Jay Jay Johnson, Curtis Fuller. J’écoute beaucoup de musique baroque, de musique contemporaine, j’en écris aussi, je continue à prendre des cours de composition à Berlin. Je n’ai pas eu un seul guide.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans la musique ? Faire de l’improvisation, être dans un ensemble ?
Tout ça c’est bien. Je fais des concerts en solo aussi. J’ai une tournée en Pologne qui approche. Affronter la scène seul, c’est toujours un challenge. Ce peut être angoissant, ou pas. Je n’ai pas envie de big band en ce moment. Il n’y a pas assez de place pour s’exprimer. Actuellement, je suis très intéressé par les duos. J’en ai avec Pierre Favre, un pionner du solo en Europe. Il a fait le premier en 1968. Je fais également un duo avec Marc Ducret. J’aime toutes les nouvelles collaborations. J’aime aussi mêler le jazz et l’improvisation aux musiques folkloriques,
Pourriez-vous définir le jazz en un mot ou une phrase ?
Partage. Quand on monte sur scène et qu’on ne sait pas ce que l’on va jouer, il y a vraiment un partage entre chaque individu. On écoute les autres. On discute. On propose. C’est un vrai partage. Que vous apporte la musique au quotidien ? Du bonheur !
Cela n’a jamais été difficile ? Jamais de sacrifices trop lourds à faire ?
Tout le temps.
Jamais pensé que ça n’en valait pas la peine ?
Non, chaque concert apporte quelque chose, qu’il soit bon ou non. Il y a des rencontres humaines qui se font, avant après. Quelquefois, c’est horrible. D’autres fois, c’est super. Chaque situation est encourageante pour la suite.
N’avez-vous jamais eu envie de jouer d’un autre instrument ?
Non. C’est incroyable, hein ? J’ai cependant fait du piano au conservatoire car c’était obligatoire. Je suis allé assez loin d’ailleurs et je regrette presque de ne pas avoir approfondi cet apprentissage.
Si vous pouviez changer quelque chose dans votre carrière, que changeriez-vous ?
Il faudrait que je sois plus patient. Je veux toujours que les choses aillent plus vite qu’elles ne vont. Je voudrais aussi avoir plus de temps pour ma vie privée, mais c’est impossible sans sacrifier la musique.
Qu’attendez-vous du concert de ce soir, de jouer devant des jeunes ?
Ce sera une surprise, parce que le public sera différent. Malheureusement le jazz n’attire pas la jeunesse. Elle croit à tort que c’est trop intellectuel, trop difficile à comprendre, à écouter. Les gens n’ont pas assez de patience. Ils sont trop souvent nourris de musiques faciles. Ils ne se donnent pas la peine de découvrir le jazz alors que c’est une musique riche qui peut sonner simplement tout en étant compliquée. Je pense à Coltrane, à ses enregistrements très world, avec la musique indienne. Beaucoup de musiciens mélangent aujourd’hui le jazz et la pop, Esperanza Spalding, Norah Jones, mais cela perd l’essence du jazz, sa part d’improvisation.
Vous êtes-vous inspiré d’un livre, de poésie, pour composer un morceau ?
Oui. Je viens de composer une pièce pour onze instruments et un récitant, sur le texte du récitant. Je me suis aussi inspiré de peintures de Friedrich Dürenmatt, qui était avant tout dramaturge et romancier. Il a peint une suite sur les tours de Babel. La première est parfaite, la dernière est quasiment détruite, elle s’appelle « la tour américaine ». ca peut faire penser au 11 septembre. J’ai donc écrit une suite basée sur ces peintures. Kandinsky a fait des choses où la peinture est liée à la musique, par l’harmonie, la forme. Des improvisateurs aussi ont travaillé à partir de couleurs.
Pourquoi avoir choisi Berlin, New York ?
Pourquoi pas l’Amérique du Sud, les indes ? Ce qui m’intéressait, c’était le réseau et les rencontres qu’il permet. Si je vais en Inde, je n’y trouverai pas beaucoup de jazz… New York, c’était un rêve. J’y retourne très souvent. Et Berlin, au départ j’y suis allé parce que j’avais reçu une bourse. Je m’y suis fixé car c’est bien positionné en Europe, géographiquement et artistiquement.
Vous n’avez pas d’autre activité artistique que la musique ?
Non. Je me dis que si je commençais un autre métier artistique, il faudrait que je m’investisse complètement. Je n’ai pas le temps. Mais comme je le disais, je regrette de ne pas avoir fait l’école d’art. Je pourrais m’y mettre seul, mais non, le trombone demande du travail.
Comment procédez-vous pour composer ?
Soit je fonctionne de manière très instinctive, sans rien forcer, du coup, cela va plus lentement. Soit, quand je compose de la musique contemporaine, je travaille plus. Je fais des courbes, j’écris des concepts, des pages et des pages. J’utilise des procédés de composition. Avant de mettre des notes sur la partition, j’ai un graphique très précis, avec des points, des couleurs. C’est un peu intellectuel, mais c’est comme ça.
La notoriété, c’est difficile à supporter ? Cela s’entretient ?
D’abord, ça fait plutôt rigoler ! Voir des gens qui te connaissent… et d’autre non ! Ensuite, oui il faut beaucoup travailler si l’on veut que cela continue. Au plan musical, beaucoup d’éléments rentrent en ligne de compte. Et puis j’ai des agents qui relaient mon travail. Mais il faut être persévérant, faire des disques… Mais d’avoir joué avec le Vienna Art Orchestra a été l’élément déclencheur. Tu es repéré, cela donne plein de contacts. Après, le bouche à oreille fonctionne. A New York, avec mon premier quartet, j’ai fait un disque qui est sorti sur un label allemand assez important. Du coup, j’ai eu pas mal d’articles dans la presse spécialisée. Et ainsi de suite.
Jamais eu peur que ça s’arrête ?
J’ai tout le temps peur que cela s’arête ! Et peut-être qu’un jour cela s’arrêtera. La notoriété, c’est souvent par vagues. Pour l’instant on s’intéresse à mon travail. Il me faudra faire en sorte d’avoir toujours des projets de qualité pour continuer. Mais le principal, c’est encore de faire de la musique et de se faire plaisir.
Avez-vous déjà été blessé par les médias ?
Oui. Dernièrement en Italie, un critique m’a complètement descendu. Mais c’est la critique. Il ne faut pas baser sa carrière là-dessus. Il y aura toujours des gens pour aimer ou détester ma musique. Cela fait avancer. Des ces critiques négatives, peut-être y a-t-il une par de vérité. On réfléchit.
Vous doutez de votre musique, de votre talent ?
Je doute tous les jours. Sur tout. Au sujet de mon dernier disque (Consort in motion), je me dis que j’ai offensé la scène baroque en démontant Monteverdi. Le monde du jazz pensera peut-être que je me sers de cet univers comme d’une excuse, etc. On doute tous les jours. Ne pas douter de soi, c’est le début de la catastrophe.