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Michel Portal

 

 

 

Théâtre de Vénissieux, le 20 janvier 2006

 

Propos recueillis par Louise Cescut & Pierre-Antoine Francou

 

Peut-on avoir quelques repères biographiques pour commencer ?

 

Je suis originaire du sud ouest, de Bayonne. J’ai toujours vécu dans la musique car j’appartiens à une famille de musiciens. Dans ma jeunesse, je n’ai pas eu à demander pour faire de la musique, elle était tout autour de moi. J’ai fait l’école de musique de ma localité puis j’ai passé des concours à Bordeaux, à Paris où j’ai obtenu le prix de conservatoire. J’ai ensuite fait des concours internationaux : Genève, Budapest, Munich. J’ai eu la chance de toujours remporter les prix.

 

C’est peut-être un peu de travail aussi ?

 

Je les ai remportés sans vraiment le vouloir. J’allais à ces concours sans avoir le sentiment de monter à l’échafaud. C’est vrai cependant qu’il y avait des gens, qui avaient démarré en même temps que moi et qui n’ont pas eu ces concours, qui ont disparu ensuite. On dit bien qu’il y beaucoup d’appelés et peu d’élus… Le métier de musicien peut paraître amusant de l’extérieur, mais il est semé d’embûches jusqu’à la fin. Je ne sais pas si cela existe aussi fortement dans d’autres métiers, mais quand on fait de la musique, on est jugé à 12 ans, à 20 ans, à 30 ans, à 40 ans… tout le temps. Il joue bien, il jouait bien, il joue mieux maintenant, moins bien qu’hier… Il faudrait une santé de fer pour aller jusqu’au bout, jusqu’à 150 ans. Il y a des gens, comme Mozart, qui sont des génies, dont je pense qu’ils sont morts épuisés. Mozart n’arrêtait pas d’écrire, à sa femme, à ses proches, comme il ne cessait pas d’écrire de la musique et à 35 ans, il était mort. Je pense qu’il fait partie de ces personnes, comme Charlie Parker en jazz, qui font des choses foudroyantes, inouies, et qui curieusement, meurent très jeune. Alors quand on reste, on se pose des questions !

 

Pourquoi avoir choisi la clarinette ?

 

Parce que la clarinette est un instrument populaire. C’est un peu le violon du pauvre. Dans une harmonie, où il y a ni violon, ni piano, c’est l’instrument principal. Et dans le milieu d’origine populaire dont je viens, on apprenait plutôt les instruments à vent, trompette, cor, clarinette, pour jouer dans des harmonies sur les places publiques, dans les fêtes bayonnaises, là où les taureaux vous encornent ! J’aimais jouer des paso-dobles le dimanche après-midi dans les corridas, mais j’avais 10 ans. J’a vite évolué et à 13 ans, j’interprétais les « contrastes » de Bela Bartok au concours Léopold Bellan. Vous connaissez Bartok ? En musique, comme en littérature, il faut avoir beaucoup de connaissances. La musique, c’est énorme. La curiosité est essentielle. Je crois bien que j’ai tout écouté ! Je n’imagine même pas la place qu’il faudrait pour entreposer tout ce que j’ai écouté. C’est une histoire terrible aussi car le succès passe rapidement. Tout se perd… Les choses sont très fragiles, et peut-être plus encore en musique. C’est mon sentiment. Alors inutile de se dire : « je m’appelle untel ! » Mais il y a des problèmes beaucoup plus graves que cela.

 

Rester modeste donc…

 

Oui, bien sûr.

 

Comment voyez-vous la musique dans la société actuelle ?

 

La musique est le reflet de la société. Si la société va bien, la musique aussi, mais l’inverse est évidemment valable. Je dirais qu’actuellement, c’est le fond qui manque le plus. Nous sommes dans une société qui n’accepte pas de prendre des risques. On refuse donc de financer des projets dont on ne sait pas s’ils seront rentables. Il faut plaire d’abord, et au plus grand nombre. Une personne qui a des conditions de vie difficiles souhaite souvent avoir du divertissement le soir en rentrant du travail. On le comprend aisément. Mais cela ne permet plus à certains artistes d’exister, sauf s’ils acceptent certains compromis. Ils prennent alors le risque de devenir des bouffons, comme au temps de Louis XIV, parce qu’ils sentent que ce sera trop difficile autrement. J’ai fait des musiques très subversives par le passé, difficiles d’accès, notamment du Free Jazz. C’était en mai 1968 et il y avait une dynamique. On jetait un instrument dans l’eau et les gens autour de vous disaient « oui, c’est bien ». Aujourd’hui, ils ne supporteraient pas cela. Ils diraient que l’instrument coûte cher, que c’est laid de faire une chose pareille, qu’il y a trop de violence. La violence inquiète énormément. Les artistes sentent ça et, comme ils sont comédiens, ils sont à la fois gentils et rebelles. La Fontaine faisait de beaux vers avec le fromage, mais qu’y avait-il derrière ? « Comme vous me semblez beau ! » Ce n’est pas un corbeau, c’est un homme ! Mais à son époque, pouvait-il dire ouvertement ce qu’il pensait ? C’est pourtant bien la société de son époque qu’il mettait en scène dans ses vers. Dans la musique, c’est pareil. C’est un jeu. Comprend qui veut, comprend qui peut. Ce que je représente, moi, sur scène aujourd’hui ? c’est dur à dire. J’essaie de traduire la joie et les désillusions de ma vie, arrangées à ma façon. Et peut-on savoir où est le corbeau, où est le renard ? Personnellement, j’essaie juste d’être moi.

 

Comment arrivez-vous à concilier musique classique et jazz ?

 

C’est une question qu’on m’a souvent posée. J’ai toujours répondu qu’un musicien doit être contemporain, c’est-à-dire vivant. Je suis vivant et je dois savoir qui écrit de la musique en Allemagne aujourd’hui, ce qui existe aux Etats-Unis, etc. Et je veux jouer la musique de chacun, de ceux que je n’ai pas connus comme de ceux que je ne connais pas. Je voudrais pouvoir jouer avec chaque musicien où qu’il soit dans le monde. Et même si je ne comprends rien à ce qu’on joue ensemble, l’essentiel est dans la rencontre. J’ai toujours essayé de me rapprocher des hommes. Si tous les tambours du monde jouaient ensemble une fois dans leur vie, belle utopie, ce serait gigantesque ! Moi, j’ai choisi une musique qui me permet de faire le plus de rencontres possibles. Jouer un jour avec un violoniste classique et un autre avec un jazzman, c’est l’assurance de rencontrer des gens très différents.

 

Que pensez-vous de la position du jazz dans les médias ?

 

Il y aurait beaucoup à dire. Le jazz a une position mineure. Essayez de trouver dans un kiosque la photographie d’un jazzman à la une d’une revue ! On ne trouve que ce qui se vend le plus. Je ne peux pas faire la guerre à un chanteur de pop, de rock. La vie est ainsi faite. Imaginons que je compose une œuvre pointue, difficile à écouter. Est-ce que j’aurai du succès auprès du grand public ? Non. Il ne faut pas rêver. Ou on va vers le commerce, à bloc, ou on est un peu rebelle et on ne le fait pas, même si l’on en a la possibilité. Il ne faut pas se plaindre. On a ce qu’on décide d’avoir.

 

Qu’est-ce que l’improvisation selon vous ?

 

Il y a des stades dans l’improvisation. C’est un peu comme chez les griots en Afrique ou également dans mon pays basque natal. Quand il n’y avait pas de facteur, qu’il fallait passer des montagnes pour informer, qu’il n’y avait pas de radio, des gens se déplaçaient, colportaient les nouvelles. On apprenait ainsi que le docteur était mort à 78 ans, on ne savait pas trop de quoi… En Afrique, à l’identique, loin de tout, une personne arrivait quelque part et disait que cette plante était utile, ou autre chose encore. A force de passer, ces gens itinérants ont développé leur façon de dire les choses. Ce n’est pas le début du Slam ou du Rap mais presque. Dans tous les pays, sur des rythmes simples, ils se sont mis à raconter en improvisant. J’ai entendu cela jeune. Mais on est encore au stade de la parole. En musique, un homme peut avoir la même envie d’improviser, de ne pas se contenter de la mélodie de base. Ca vient de l’intérieur, c’est irrépressible. Certaines personnes arrivent à l’improvisation par le désespoir, d’autres par l’humour… Tout jeune, je m’amusais à faire des collages entre le concerto de Mozart et Carmen de Bizet, parce que tout est doit être possible. Je me suis ennuyé dans une classe de solfège jusqu’à penser que la musique était triste ! L’improvisation, c’est une envie de sortir, de voyager, sans voyager.

 

L’ouverture totale ?

 

Oui. Partir, voyager. Et pour voyager, il faut des valises bourrées à craquer de musique. Il faut beaucoup écouter, s’inspirer, prendre chez les autres. Un jour, j’ai vu un saxophone ténor qui a joué une chose terrible. Il a joué deux sons. C’était aux Etats-Unis. Une phrase simple apparemment. Pourtant je me suis dit : « La vache ! Là, il m’a tué ». Avec trois notes ! Après cela, je ne pouvais plus rien écouter ! C’est ce que j’aime : l’expression ultime. La vérité. Quelque chose qui sort des tripes. La vérité !

 

 

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